Demnate, paradis perdu...
Par
Josiane Mayer née Assouline de Marseille (Originaire du Maroc et
vivant en Israël) Membre de l’Association « Permanences du Judaïsme
Marocain » Texte transmis par Arrik Delouya que je remercieLa route
Marrakech - Demnate traverse quelques villages très modestes dont les
petits commerces et habitations s’alignent à proximité du trafic. Une
fontaine publique, quelques ânes montés ou chargés, peu de circulation,
des moutons paissant. Plus loin, se dessinent les premiers contreforts
de l’Atlas aux sommets enneigés perdus dans la brume de ce jour
caniculaire. Nous dépassons la petite route qui mène au Saint David
Drâa. Quelques kilomètres plus loin, Hassan nous désigne un mausolée à
quelques dizaines de mètres de la route. C’est le Saint Yaakov Nahmias
appelé par les Musulmans Moul Almoy. A l’entrée de Demnate, les voitures
stationnées, la foule qui se presse nous laisse entrevoir le Souk du
Dimanche où nous repasserons en fin d’après-midi. Nous traversons
Demnate, petite ville depuis longtemps sortie de ses remparts. Petites
échoppes, maisons modestes, cafés où les hommes discutent en ce dimanche
matin. Nous nous arrêtons dans un café, celui de l’ami de Hassan,
Abdelkarim. Tous deux nous désignent un mur rose brique, juste en face
du café. C’est la maison de Yaquot, la dernière juive de Demnate. On ne
voit que l’étage supérieur qui dépasse du mur, vieille bâtisse mal
entretenue dont les volets sont clos. Elle est restée dans la maison que
ses parents avaient achetée à des religieuses dans les années 40( ?).
Hassan nous dit qu’il s’agit en fait de 2 maisons au milieu d’un grand
jardin qui fut magnifique mais qui n’existe plus aujourd’hui. Nous
attendons Yaquot. Elle doit arriver dans quelques minutes. Impossible de
faire la différence entre les Musulmanes et Yaquot. En tout cas pour
nous. Elle n’a que 55 ans mais semble plus âgée. Corpulente, vêtue d’une
longue jupe et de plusieurs couches de chandails malgré la chaleur, la
tête enserrée dans un turban, chaussée de gros chaussons de laine
rouge, se déplaçant avec peine…elle s’approche de nous , nous embrasse
avec chaleur puis s’assoit à notre table. Dans son visage vieilli, les
yeux démentent le reste de la physionomie, ils sont pétillants et
intelligents. Elle parle l’arabe, le berbère, le français, l’hébreu. Je
la filme quelques minutes en lui posant des questions. Elle semble
avoir beaucoup de connaissances, sans doute peu ordonnées et qui sont
le résultat de sa grande solitude, d’après Abdelkarim. Il dit qu’elle a
beaucoup lu car elle vit seule depuis tant d’années. Elle se joint à
nous dans la voiture et nous prenons la direction de Sidi Nasser
UmHasser. Un peu au dessus de Demnate, nous nous arrêtons pour
contempler la petite ville depuis les hauteurs. Hassan nous situe au
loin l’emplacement du cimetière juif. Nous roulons encore 2 ou 3 km et
arrivons au Pont Naturel de Um Hasser. Là, l’Oued a creusé de
formidables gorges dans lesquelles nous descendons par un escalier
aménagé. Au dessus des gorges, se dresse un pont naturel, merveille de
la nature sur lequel la route passe quelques 200m plus haut. Nous
remontons sur la route et malgré la chaleur, Yaquot insiste pour que
nous descendions de l’autre côté du Pont jusqu’au cours d’eau afin de
nous montrer l’emplacement du Saint appelé par les Musulmans Sidi Nasser
Um Hasser et par les Juifs Um Hasser (de l’eau en berbère). Arrivés en
bas, Yaquot nous désigne une petite résurgence, sous un gros rocher à
quelques mètres du lit de l’oued. C’est ici nous dit-elle. Puis elle
avise 2 hommes assis à l’ombre d’un olivier et leur emprunte une timbale
de plastique qu’elle remplit et qu’elle boit en premier avant de nous
la tendre l’un après l’autre. Françoise d’abord, puis moi, Hassan et
enfin Abdelkarim. Elle veille à ce que nous en avalions jusqu’à la
dernière goutte. « Buvez et faites un vœu, le Saint l’exaucera » Depuis
de nombreuses générations, les femmes musulmanes comme juives viennent,
selon la tradition, se tremper dans les eaux de la source afin de
demander un mari ou de guérir leur stérilité. Elles ont coutume
jusqu’aujourd’hui d’y abandonner un vêtement ou un accessoire de leur
costume (ceinture, écharpes, chemise..) Hassan nous dit que le lieu de
sépulture du Saint n’est pas connu mais Yaquot, d’un geste vague nous
dit : « C’est ici qu’il est enterré » Puis, Yaquot se plie en deux
pendant de nombreuses minutes et fouille dans le lit de la source,
choisissant avec soin quelques petits cailloux qu’elle remet à chacun,
nous conseillant de les placer sous notre oreiller pour bénéficier de la
protection du Saint. Vingt minutes plus tard, nous arrivons au
cimetière juif de Demnate en empruntant une petite route cabossée
grimpant à flanc de colline. De part et d’autre de la route, un mur de
1m50 de hauteur. Au sommet de la colline, quelques maisons se dressent
arborant des lignes de linge multicolore flottant au vent chaud. Yaquot
nous explique qu’à droite se trouve la sépulture des femmes .Là, le
mur, détruit partiellement, donne un accès libre au cimetière. Le mur
d’enceinte de la sépulture des hommes est complet, sans brèche et le
gardien nous en ouvre le petit portail verrouillé. Je commence à tourner
entre les rares tombes qui subsistent en surface et les (encore plus
rares) épitaphes. L’endroit est beau, entouré de collines verdoyantes.
Sur le versant opposé de la colline, un peu plus bas, un petit mausolée
se dresse. Celui d’un autre saint. Des bruits de voix me font relever
la tête. Yaquot s’adresse avec véhémence au gardien du cimetière. - Des
maisons ont été construites sur l’emplacement du cimetière au sommet
de la colline et -bien que les faits ne soient pas nouveaux- Yaquot
laisse échapper sa colère. L’émotion que je ressens à la vue de ce
cimetière se double d’une légère déception.Bien sûr, j’avais imaginé
qu’il serait en mauvais état mais j’avais le secret espoir d’y trouver
au moins une épitaphe au nom de mes ancêtres. Mais non, rien. Leurs
pierres tombales se sont évaporées, comme celles de tant d’autres,
entraînées par les eaux de pluie qui ravinent les collines chaque
hiver, brisées par le soleil de plomb des jours et le froid glacial des
nuits, détériorées par des mains d’ hommes en quête de matériaux de
construction « gratuits ».Pourtant, leurs sépultures sont là ,sous l’
herbe rare que les moutons broutent . Ils sont là tous ceux qui ont
peuplé le Mellah de Demnate, qui ont prié dans ses synagogues, étudié
dans ses Slat, produit et commercé dans ses souks, génération après
génération. Du cimetière, nous redescendons vers Demnate. A l’entrée du
Mellah, Yaquot nous désigne une petite mosquée rose. « Ici, c’était la
synagogue de ma famille. Mon père en a fait don pour la transformer en
mosquée, à condition qu’elle soit bien entretenue et ne tombe pas en
ruine » Hassan nous fait remarquer qu’on y accède par des escaliers, ce
qui n’est pas habituel pour les mosquées. Nous continuons notre chemin
pour arriver sur une petite place à l’entrée du Mellah. L’ancienne
école del’AIU l’Alliance Israélite Universelle se trouve ici, entourée
de hauts murs. C’est aujourd’hui une école primaire publique. De là,
nous empruntons un dédale de ruelles étroites et sombres, bordées de
maisons en pisé, recouvertes pour certaines de crépi. La plupart des
maisons sont hautes deux ou trois étages. Leurs façades sont percées de
petites fenêtres grillagées dont les volets intérieurs en bois sont
clos. Certaines semblent abandonnées, d’autres sont tout simplement en
ruines. Tous les quelques mètres, Yaquot s’arrête et nous désigne une
maison: « Ici c’était la maison des Barchichat. Ils sont partis pour
Marrakech dans les années 50.Ici habitait la famille Ammar…Ici la
famille…. Au fond d’une ruelle, au pied de la grande mosquée au minaret
blanc,Yaquot nous désigne quelques escaliers. Ici c’était le mikvé
Puis nous passons devant les ruines de deux synagogues, amas de pierres
qu’il nous aurait été impossible d’identifier sans les souvenirs de
Yaquot. La visite se termine. Nous reprenons la route de Marrakech en
faisant une dernière halte au souk de Demnate, immense terrain
poussiéreux où se vendent à même le sol ou sur de petits étals,
légumes, épices etc... Le coiffeur /barbier officie sous une petite
tente. Il est déjà tard et l’on charge charrettes et camions de
marchandises. Sur ce même terrain poussiéreux, mes ancêtres et ceux ce
Hassan et d’Abdelkarim commercèrent peut-être il y a plus de 150 ans.
Je devais voir Demnate. Josiane precieuse
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